Matthieu Jolly est Services & Innovation Manager à L’Échangeur, une structure de veille sur le commerce qui appartient à BNP Paribas. Il nous explique comment le numérique réinvente le commerce de proximité et, paradoxalement, le rend plus pertinent que jamais.
Matthieu Jolly
Services & Innovation Manager
U&R
Pouvez-vous décrire ce que fait L’Échangeur et ce que vous y faites ?
MJ
L’Échangeur a 21 ans cette année ; il a été créé en 1997 par LaSer Cofinoga et a été racheté par BNP Paribas Personal Finance en 2015. Son projet, c’est d’imaginer quelle sera la relation entre les acteurs économiques et les consommateurs demain et après-demain, avec deux visions : l’une très technologique, et l’autre très client. Deux fois par an, on partage notre veille au cours de deux événements, l’un en mars, où l’on récapitule tout ce qui se passe dans les salons de la technologie, et l’autre en octobre, où l’on brosse des axes d’innovation en direction du consommateur. Une fois ces visions posées, les entreprises viennent nous voir et nous demandent ce qu’elles peuvent faire sur leur marché. On recadre sur leurs secteurs d’activité ou sur leurs thématiques propres. Nous avons un showroom à Levallois dans lequel les clients peuvent visualiser leurs données, et où les solutions d’une quarantaine de start-ups sont présentes parce qu’elles proposent un usage intéressant.
Historiquement, nous avons deux équipes : l’une très techno et l’autre sur les études. Mon job, c’est de structurer l’accompagnement à l’innovation, d’aller un cran plus loin. Le premier cran, ce sont donc nos conférences. Ensuite, on accompagne de très grosses enseignes françaises, on échange avec elles des informations et de la veille. Puis, une fois la vision posée, on entre dans une phase d’idéation : on travaille plus précisément avec les données du client, on lui fait vivre des choses comme des visites en magasin, on lui fait rencontrer des start-ups, etc. L’idée, c’est de mettre ensemble les acteurs de l’écosystème de ce nouveau commerce, et qu’ils puissent interagir. À la fin de cette étape de design thinking, on laisse l’industriel continuer de son côté ou d’autres services de BNP Paribas prendre le relais. Notre compétence, c’est d’aider à sortir du cadre et trouver l’idée.
U&R
Quelles sont les tendances d’innovation pour les petits commerces de proximité ?
MJ
Ma conviction, c’est qu’avec l’urbanisation et la smart city, le commerce de proximité va se relancer. D’abord, le pure player est déjà mort, il a besoin de s’incarner là où sont les clients, donc de réinvestir les points de contact. Ensuite, dans la logique de la smart city, on assiste au bouleversement de l’usage de la voiture, où on est moins enclin à aller au centre commercial. Il y a eu suffisamment d’échecs dans les derniers centres lancés en France pour voir que le modèle ne marche plus si bien.
On voit apparaître les premiers tests de magasins qui réinvestissent le centre-ville, notamment Ikea, ou Ali Baba en Chine. On voit également que les commerces alimentaires de proximité sont de plus en plus structurés par des enseignes. Mais dans ces espaces de vente, il va falloir faire bouger les formats, en intégrant suffisamment de services pour être un vrai lieu de proximité. Par exemple, dans mon quartier il y a un coiffeur qui coiffe toutes les personnes âgées, et sa clientèle a des problèmes de mobilité. Pour certains, la solution serait de venir à elles pour qu’elles n’aient pas à se déplacer, mais lui va les chercher pour qu’elles aient un moment d’échange et de socialisation. On pourrait déployer cela sur beaucoup d’enseignes.
Par ailleurs, le commerce conversationnel montre qu’on a besoin de converser, de socialisation. Si l’on regarde l’évolution des consommateurs, on est sur des problématiques écologiques, des logiques de réassurance avec le développement des circuits courts.
Cette relation de proximité entre le producteur et le client permet d’ouvrir plein de boutiques. Dans un magasin, on trouve une réassurance, on peut toucher, essayer, tester. Par exemple à Paris, Boulanger et Thermomix proposent maintenant de tester les produits dans des magasins fonctionnels (Thermomix donne même des cours). La boutique Nike à New York a un terrain de basket et un tapis de running pour tester les chaussures, Dyson a lancé un salon de coiffure à Londres pour tester ses sèche-cheveux.
Au final, la notion de quartier va beaucoup se réimposer. Des initiatives comme Lulu dans ma rue ou Les Talents d’Alphonse racontent quelque chose, une mouvance autour de la proximité qui n’est pas qu’un truc de bobos parisiens. La sharing economy a toujours existé, sauf dans les villes et centres-villes. Le numérique aide simplement à structurer cette logique d’entraide, qui va devoir se développer autour du sens et du bien commun. Si l’on reste sur des bénéfices court-termiste, un concurrent qui arrive avec une proposition identique mais un positionnement sociétal pourra rafler la mise. C’est la recherche de sens et de bien commun qui prévaudra.
U&R
De quoi les petits commerces de proximité ont-ils besoin pour réussir à innover ?
MJ
Il leur manque exactement la même chose qu’aux gros : la capacité à sortir de qui ils sont. Si j’avais un commerce très local, je me demanderais comment réussir à arrêter un consommateur dans la rue. Est-ce que la vitrine arrive à arrêter les gens ?
Ce n’est pas si sûr. Aujourd’hui, ces commerces doivent être multi-tâches, et c’est compliqué. Une banque, par exemple, pourrait réinventer son rôle : vous êtes client, je vous supprime des tâches comme le développement de votre site web par exemple, je vous propose autre chose que juste du financement. Mais les gros aussi ont la tête dans le guidon, et il n’y a pas tant d’innovations structurantes que ça. Chez Franprix, ce que je préfère dans le concept
Mandarine, c’est la carte du quartier qui positionne les médecins et les pharmacies : ça, c’est l’incarnation du magasin au plus proche des gens.