Ces dernières années, où que l’on regarde, on a l’impression que le travail s’individualise : de plus en plus de gens travaillent en freelance, deviennent entrepreneurs, jonglent entre plusieurs métiers ou activités. C’est un défi pour les syndicats, mais aussi une opportunité : tous ces travailleurs qui sortent du cadre “classique” du salariat ont aussi besoin de représentation et de protection.
Les syndicats à l’ère de l’ubérisation
Si le développement des plateformes (Uber, Deliveroo, etc.) a conduit un nombre croissant de personnes d’exercer une activité indépendante, il met aussi en lumière la vulnérabilité de ces travailleurs qui ne sont pas protégés par un statut de salarié. Et c’est peut-être là que le rôle crucial des syndicats saute le plus aux yeux. En Angleterre, un livreur Deliveroo a demandé au Comité central d’arbitrage de revenir sur une décision de Deliveroo, qui lui dénie le droit à une représentation syndicale au motif qu’il est auto-entrepreneur et non salarié.
Mais au-delà de la bataille pour faire salarier des indépendants, une piste pour mieux protéger les travailleurs à l’ère de l’ubérisation est de reconnaître les relations de coopération qui les lient aux entreprises. L’avocate Emmanuelle Barbara propose ainsi de fonder la distinction entre salariat et travail indépendant non plus sur l'existence d'un lien de subordination juridique, mais plutôt sur le fait qu’existent des relations de coopération. Elle suggère également de créer un compte personnel des protections, centralisant tous les droits que l’actif acquiert par son travail : protection sociale, droits à la retraite et à la formation, compte épargne temps, épargne salariale, etc.
Représenter les freelancers
Autre grand chantier d’avenir : la défense des freelancers, différents des indépendants d’Uber ou Deliveroo en ce qu’ils ne partagent pas le même client, mais cumulent différentes activités pour différentes entreprises. À eux tous, ils ont des millions d’“employeurs”. Aux États-Unis, la juriste Sara Horowitz a créé dès 2001 un syndicat baptisé Freelancers Union, chargé de défendre leurs droits sur le marché du travail et de leur donner accès à une assurance maladie. Comme le rapportent Les Échos, la Freelancers Union “s'apparente davantage à une entreprise de services qu'à un syndicat comme nous l'entendons”, selon les termes de l'économiste britannique Guy Standing. “Son modèle économique est celui d'une entreprise de services : elle propose des coupons de réduction sur des formations, des espaces de co-working ou des contrats d'assurance”, explique le journal. Son principal fait d’armes : avoir initié et défendu un texte baptisé le “Freelance Isn’t Free Act”, voté en octobre 2016 par la ville de New York. Cet “Act” est la première loi aux États-Unis conçue spécifiquement pour protéger les travailleurs indépendants. Pour Antoine van den Broek, co-fondateur de l’espace de coworking Mutinerie à Paris,
cette logique d’action collective peut être nécessaire et elle est très peu adoptée par les indépendants, parce que par nature ils ne sont pas forcément dans des logiques de groupe.ils ne peuvent pas faire grève et ils ne savent pas où s’adresser quand un client ne les paie pas, par exemple.
Pas étonnant, donc, que les syndicats plus classiques lancent eux aussi des initiatives pour porter les droits des indépendants sur le devant de la scène comme en Allemagne où le syndicat IGmetall a créé faircrowdwork.org, un site où les indépendants peuvent noter les différentes plates-formes de travail.
La complémentarité des startup ou des entreprises de services
Il n’y a pas que pour les litiges ou la défense des droits que les syndicats peuvent s’avérer précieux. À côté d’un rôle de représentation, ils pourraient également, de plus en plus, s’orienter vers la négociation collective de services à destination de leurs adhérents. Mais sur le segment des travailleurs indépendants, la complémentarité des startup permet d'imaginer de nouvelles perspectives pour les travailleurs concernés : WeMind, par exemple, propose déjà aux freelances les services qu'ils auraient s'ils étaient salariés, de l'accompagnement dans le choix de mutuelle à la mise à disposition d'un comité d'entreprise. En Belgique et dans différents pays de l'Union européenne, la coopérative Smart propose aux indépendants un outil de gestion des devis et des contrats, et une assurance. Pour Antoine van den Broek, il n’est pas forcément pertinent d’attendre des syndicats “classiques” qu’ils adaptent leurs services aux indépendants tout en considérant que "les syndicats devraient se recentrer sur leur cœur de métier, qui est la défense des travailleurs à travers la négociation collective et l’accès qu’ils ont au gouvernement et au législateur. C’est une mission qui a toujours beaucoup de sens."
Reste que pour s’adapter au mieux aux mutations d’un monde du travail toujours plus individualisé, les syndicats devront, d’une manière ou d’une autre, prendre en compte ceux qui ne sont pas dans leur champ d’action traditionnel et ceux, de plus en plus nombreux, qui ont des parcours professionnels fragmentés.