Jean-Michel Pasquier est le fondateur de Koeo, une entreprise de l’économie sociale et solidaire qui met en relation entreprises et associations pour des missions de mécénat de compétences. En clair, Koeo permet aux salariés qui le souhaitent de donner de leur temps et de transmettre leurs expertises à des associations qui ne peuvent rémunérer ces compétences. Il nous explique comment la démarche s’est développée au cours des dix dernières années, et ce qu’elle apporte notamment aux salariés en fin de carrière.
Jean-Michel Pasquier
Fondateur de Koeo
U&r
Quelle est la genèse de Koeo ?
jmp
J’ai un parcours dans la communication RH depuis une trentaine d’années, et j’ai créé Koeo en 2009 à partir d’un constat empirique : mes interlocuteurs, souvent des DRH, commençaient à s’interroger sur comment mobiliser les ressources internes et fédérer les équipes. À l’époque commençait aussi à poindre la question de la quête de sens. Comme j’étais par ailleurs engagé dans le bénévolat, je me suis un peu renseigné et je me suis rendu compte qu’il y avait très peu, voire pas d’acteurs pour le déployer dans les organisations. J’ai donc créé une structure de l’économie sociale et solidaire pour accompagner les entreprises dans la mise en place de mécénat de compétences, avec une démarche assez RH dès le début. Certes, c’est un outil de solidarité, mais il permet aussi aux DRH de répondre à certains enjeux, comme l’image de marque employeur, la gestion des transitions vers la fin de carrière, les mobilités ponctuelles des collaborateurs, etc. Les premières années ont été compliquées car personne ne savait ce que c’était, ni dans les entreprises, ni dans les associations. On est donc partis d’une feuille blanche. Aujourd’hui, nous avons 2500 associations partenaires en France. Depuis le début, nous avons trois niveaux d’accompagnement : le conseil, c’est-à-dire qu’on construit le programme de mécénat de compétences avec l’entreprise ; le numérique, avec une plateforme web qui met en relation associations et salariés sur des missions et qui en assure le suivi ; et l’organisation de journées de solidarité, un format collectif pour compléter les missions individuelles.
u&r
Qu’est-ce que le mécénat de compétences apporte aux salariés seniors ?
jmp
D’abord c’est un sujet qu’on voit vraiment émerger depuis un an et demi. Certaines organisations, dont Orange qui a été précurseur, nous demandent de créer des passerelles en douceur pour leurs collaborateurs en fin de carrière. L’idée, c’est de proposer des temps longs de mission en association, ce qui permet de retrouver un sentiment d’utilité, de découvrir un environnement nouveau, d’entrer dans une nouvelle dynamique et de reprendre confiance en soi. Ensuite, une fois que la retraite arrive, on peut continuer cet investissement dans le bénévolat et éviter de se retrouver désœuvré. C’est une manière de bien préparer sa retraite. C’est presque de l’accompagnement dans la recherche de poste, puisque ça va être un engagement de vie sur plusieurs mois ou années. On échange avec les candidats, on voit leurs appétences, on les accompagne dans ce changement de paradigme avec des formations très concrètes sur les différences entre le monde associatif et le monde de l’entreprise. Quand on recherche des missions pour ces profils-là, on s’assure que l’association soit assez structurée, avec une vision et des enjeux ambitieux, pour que la charge de travail soit un minimum existante. Pour les associations, c’est intéressant car cela leur permet d’avoir accès à des compétences sur la longue durée, avec des gens par définition très expérimentés.
Nous sommes au tout début d’une grosse vague de fond. En ce moment, nous conseillons une petite dizaine d’entreprises sur ce sujet. À l’avenir, beaucoup de collaborateurs vont se retrouver avec la possibilité de faire du mécénat de compétences pour arriver à leur début de retraite.
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Quel bilan faites-vous des activités de Koeo, notamment en termes de bénéfices pour les salariés ?
jmp
Le mécénat de compétences permet de retrouver un sentiment d’utilité, ce qui est primordial. Quand on transmet une expertise, elle peut être assimilée par une ou par cent personnes dans l’association. Il y a un pouvoir démultiplicateur colossal et c’est un effet vécu par les collaborateurs, qui voient les résultats concrets de leur apport. C’est très gratifiant de voir qu’en quelques heures de formation on peut faire monter les bénévoles en compétence. Ce sont des choses qui n’ont pas de prix.
De manière plus globale, depuis trois ou quatre ans nous avons des entreprises qui nous consultent spontanément : elles benchmarkent de plus en plus, et le mécénat de compétences a plus de visibilité qu’il y a dix ans. L’enjeu est plus fort aussi pour les RH, il y a un besoin de chercher des solutions novatrices, notamment par rapport à la quête de sens qui concerne les nouvelles générations, mais pas seulement. C’est transgénérationnel, tout le monde en a besoin. Un autre indicateur, c’est qu’en 2017 nous avons réalisé 10 000 heures de mécénat : c’est ce qu’on avait fait entre 2009 et 2013-2014.
Le prochain enjeu pour nous, c’est d’articuler la formation et le mécénat de compétences. Aujourd’hui, ce n’est accessible que dans les entreprises qui ont décidé d’en faire. Or nous avons tous un compte personnel de formation, dont on pourrait déduire une journée pour le mécénat de compétences. Nous avons donc proposé aux pouvoir publics de donner ce droit à l’expérimentation à tous les salariés, dans toutes les entreprises.