Les télétravailleurs ont-ils droit aux titres-restaurant ? A l'heure du télétravail généralisé, la question fait débat. Pour Julien Anglade, directeur général de Up en France, la réponse est sans équivoque.
LD
Est-il possible de bénéficier de titres-restaurant en télétravail ?
ED
Oui ! Le télétravailleur bénéficie des mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise (article L.1222-9 du code du travail). Parmi ces droits figure celui à une pause (une déconnexion) pour la restauration et même, pour certains travailleurs précaires, à un repas de qualité (et ce depuis un décret du 10 juillet 1913). Si l’employeur prend en charge la restauration de ses employés – par l’accès à un restaurant d’entreprise ou l’attribution de titres-restaurant – il doit le faire pour tous, y compris ceux en télétravail. Il est donc bien normal de bénéficier de titres-restaurant en télétravail.
LD
L’employeur peut-il décider de supprimer les titres-restaurant pour cause de télétravail ?
ED
Non. En tout cas, il ne peut pas le faire sur ce seul critère. L’attribution de titres-restaurant est un droit mais pas une obligation, la seule obligation étant celle de mettre à disposition une solution de restauration pendant la pause des travailleurs. Ainsi, l’employeur peut décider de supprimer les titres-restaurant mais il doit garantir l’égalité de traitement de ses salariés.
Il est donc impossible de supprimer les titres-restaurant pour les seuls télétravailleurs.
Si suppression il y a, elle s’applique à la prise en charge de la restauration de l’ensemble des salariés de l’entreprise.
LD
Les deux décisions de justice rendues en mars 2021 semblent se contredire à ce sujet…
ED
Pas vraiment. Il s’agit surtout de deux appréciations souveraines des juges mais différentes de l’égalité entre salariés. D’un côté, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a donné raison à une société qui avait justifié le retrait des titres-restaurant aux télétravailleurs au motif que les salariés sur site ne bénéficiaient plus du restaurant d’entreprise et se trouvaient désavantagés. De l’autre, le Tribunal Judiciaire de Paris a considéré qu'une autre entreprise ne pouvait pas supprimer les titres-restaurant aux seuls télétravailleurs, les travailleurs sur site continuant d’en bénéficier. Dans les deux cas, l’égalité prévaut mais malheureusement pas forcément au bénéfice des salariés.
Il convient de préciser que les deux décisions se rejoignent sur un point essentiel, celui du droit des télétravailleurs aux titres-restaurant ; ainsi, le Tribunal de Nanterre affirme qu’« il n’est pas contestable que les télétravailleurs doivent bénéficier des titres-restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à ceux travaillant sur site sans restaurant d’entreprise » et le Tribunal Judiciaire de de Paris précise que « dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes ».
LD
Votre position est-elle partagée ?
ED
L’ensemble des organisations de défense des salariés s’est mobilisé sur le sujet et a émis un avis unanime sur le droit inaliénable des télétravailleurs aux titres-restaurant. Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a clairement exprimé sa position le 4 avril dernier (Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI) en estimant que l'entreprise « qui avait supprimé ses titres-restaurant à ses salariés en télétravail n'a pas eu raison » et en interpellant les entreprises ainsi : « Donnez les titres-restaurant aux salariés qui restent en télétravail ».
LD
Pourquoi est-ce important ?
ED
Parce que l’évolution du travail ne doit pas se faire au détriment du droit des travailleurs. La prise en charge de tout ou partie de la restauration et le droit à une véritable pause (une déconnexion) pour déjeuner, est d’autant plus important que la frontière entre temps de travail et temps libre tend à se brouiller avec la généralisation du télétravail. Il s'agit d'un sujet qui impacte la Qualité de vie au travail, donc la responsabilité sociale des entreprises.
Ainsi, le télétravailleur a le droit à sa pause repas pendant sa journée de travail, tout autant que le salarié sur site. Or, cette pause doit offrir la possibilité pour le télétravailleur de ne pas avoir à l’utiliser pour se préparer son repas. Le droit lui est ouvert, comme à ses collègues qui travaillent sur le lieu de travail, à sortir pour déjeuner dans un restaurant (quand ces derniers seront rouverts), à aller collecter dans un restaurant un repas commandé, ou à se faire livrer un repas à domicile - ces deux dernières options étant tout à fait possibles dans le contexte actuel de crise sanitaire.
Enfin, le titre-restaurant contribue à la santé et à la qualité de vie au travail mais pas seulement. Il symbolise également la continuité du dialogue social et contribue à soutenir le secteur de la restauration, très durement touché par la crise. Ce cas est symbolique car il concerne l’avantage social préféré des Français mais il soulève des questions majeures qu’il s’agisse de l’avenir des autres avantages sociaux attachés au salariat ou de l’accompagnement de l’essor de nouvelles formes de travail, en particulier non salarié.